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Journée mondiale du théâtre 2025 : Dans l’ombre de l’autoritarisme

Par Jeffrey Eric Jenkins

Depuis la célébration de la Journée mondiale du théâtre en 1962, l’Institut international du théâtre demande chaque année à une personnalité internationale de délivrer un message sur le thème « Le théâtre et la culture de la paix ». Si nous jetons un coup d’œil sur les six dernières décennies, nous trouvons d’adorables messages célébrant des idéaux que les cultures mondiales n’ont pas réussi à défendre.

Dans le message de 2025, le metteur en scène grec Theodoros Terzopoulos pose de nombreuses questions difficiles sur les crises auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui et sa frustration transparaît alors que le théâtre s’efforce d’apporter des réponses à l’échelle mondiale.

Dans le drame de la politique actuelle, la scène n’a jamais été aussi vitale. Alors que les régimes autoritaires consolident leur pouvoir et déforment les récits culturels pour servir leurs propres intérêts, le rôle du théâtre en tant que vecteur de vérité est devenu plus urgent que jamais. En tant que gardiens de l’expression humaine, les artistes de théâtre doivent reconnaître que la pratique artistique est plus qu’un acte de création : elle peut aussi être un acte de défi.

Prenons l’exemple de l’Ukraine, où l’agression n’a pas seulement menacé la souveraineté nationale, mais a activement ciblé l’identité culturelle. La résilience de la communauté artistique ukrainienne nous rappelle que le théâtre s’épanouit dans la résistance. Des compagnies telles que Dakh Daughters, avec leur mélange puissant de virtuosité musicale et de commentaires politiques mordants, ont transformé la représentation en protestation. Ces artistes risquent leur existence pour rappeler au monde que l’expression culturelle ne peut être effacée par la violence ou la manipulation. Les dramaturges ukrainiens ont élaboré des récits qui remettent en question les mythes impériaux et affirment la dignité de leur nation.

Les démagogues excellent dans l’art de déformer le langage et de fabriquer des mythologies qui réduisent la réalité à un récit simpliste d’ennemis et de sauveurs. C’est pourquoi l’artiste de théâtre devient une cible – le dramaturge qui dissèque le pouvoir, l’acteur qui incarne la dissidence, le concepteur qui visualise un avenir alternatif. Chaque acte créatif affirme la complexité en opposition à l’uniformité creuse de la propagande.

Aux États-Unis, cette suppression prend souvent une forme plus subtile. Si les artistes font rarement l’objet de menaces explicites, la lente érosion de la liberté artistique par le biais du financement, de la pression sociale et de la censure idéologique a créé un climat d’autocensure. Lorsque l’art est réduit, la capacité de la société à s’interroger, à imaginer et à réfléchir l’est également. Nous devons reconnaître que les autoritaires n’ont pas besoin de violence pour réussir. Ils prospèrent tout aussi efficacement dans une culture qui privilégie le confort plutôt que la confrontation, qui valorise le spectacle plutôt que l’introspection.

Le théâtre doit relever ces défis en adoptant une représentation audacieuse. Cela demande du courage, le courage de créer des récits qui mettent en lumière les vulnérabilités et les contradictions des structures de pouvoir. Mais pour résister efficacement, nous devons également résister au sensationnalisme. La force du théâtre ne réside pas dans sa capacité à crier plus fort que les démagogues, mais dans sa capacité à attirer le public dans des espaces de réflexion où l’empathie s’épanouit et où la complexité est comprise.

Dans un monde saturé de désinformation, la scène invite le public à se pencher sur des questions difficiles plutôt que de se réfugier dans un confort idéologique. Cela exige que nous sortions des salles de spectacle traditionnelles et que nous nous engagions auprès des communautés dans les écoles, les espaces publics et les forums numériques où les récits contestés sont les plus âprement disputés. Il ne suffit pas de prêcher depuis la scène : nous devons aller à la rencontre du public là où il se trouve, en lui proposant des histoires qui remettent en question ses hypothèses et suscitent la conversation.

Alors que nous célébrons la Journée mondiale du théâtre le 27 mars, nous nous souvenons du pouvoir qui unit les artistes de théâtre par-delà les frontières. Cette célébration mondiale nous invite à réaffirmer notre engagement envers la scène en tant que lieu de vérité. Le théâtre n’est pas seulement une expression culturelle, c’est un acte de résilience dans un monde trop souvent réduit au silence par la peur.

L’histoire a montré que les régimes autoritaires ne peuvent pas éradiquer la résistance théâtrale. Václav Havel a utilisé la satire pour saper l’oppression soviétique ; Athol Fugard a mis en scène la cruauté de l’apartheid ; les artistes ukrainiens montent aujourd’hui des spectacles au milieu des décombres pour déclarer le droit à l’existence de leur nation. Ces exemples démontrent que le véritable pouvoir du théâtre réside dans sa capacité à amplifier la vérité.

Pour agir dans cet esprit, il faut du courage, ce qui a toujours été la marque de fabrique du théâtre. De la rage de Lear dans la tempête à la dénonciation audacieuse de la corruption par Hamlet, la scène nous rappelle profondément que la confrontation avec le pouvoir n’est ni une nouveauté ni une option. Il s’agit au contraire d’un devoir permanent.

L’exemple ukrainien souligne une vérité universelle : le théâtre n’est pas confiné aux scènes ornées ou aux salles luxueuses. Il s’épanouit dans les abris antiatomiques, dans les cours intérieures et dans l’esprit de ceux qui osent imaginer un monde plus libre. Chaque spectacle affirmant cette liberté résiste aux forces qui cherchent à écraser l’individualité et à la remplacer par un dogme.

Tant qu’il reste des histoires à raconter, nous devons persister. Chaque acte créatif est un acte de libre arbitre, et chacun de ces actes constitue une déclaration d’espoir.


Jeffrey Eric Jenkins est le 14e président de l’Association internationale des critiques de théâtre (AICT-IATC), professeur et président des études théâtrales à l’université de l’Illinois Urbana-Champaign, et membre affilié de la faculté du Discovery Partners Institute à Chicago (courriel : jej@illinois.edu).