Les critiques russes sont inquiets des pressions que subit le metteur en scène Kirill Serebrennikov qui a été forcé, en pleine nuit, d’abandonner le tournage d’un film à Saint-Pétersbourg, et amené à Moscou où, le lendemain, il a été placé par une cour régionale en résidence surveillée.
La situation de Serebrennikov s’est aggravée en juillet 2017, à la première du ballet Rudolph Noureïev qu’il a mis en scène au Théâtre Bolshoï, qui a été interdit car considéré comme controversé.
Et voilà qu’il est accusé de mauvais usage de fonds destinés au projet culturel « La Plateforme » en 2011-14. Selon l’enquête, la mise en scène du Songe d’une nuit d’été n’a pas été réalisée. Or c’est faux : ce spectacle a été présenté en public des douzaines de fois, et il l’est toujours. Il a d’ailleurs suscité des articles dans les médias et été candidat au prix national du Masque d’or.
La communauté culturelle russe doute fortement des raisons de la persécution de Kirill Serebrennikov. Il suffit de dire que la responsabilité d’un directeur de scène n’a rien à voir avec les activités financières et de la production (cela est couvert par l’enquête sur le producteur et l’administrateur du projet de « La Plateforme »). Mais de toutes manières, Serebrennikov n’a jamais refusé de répondre aux enquêteurs là-dessus et, en cour, a réfuté ces accusations. Une mise en résidence surveillée du directeur artistique paraît donc superflue.
Serebrennikov n’a jamais dirigé de spectacles ouvertement politiques. Cependant, le style et les enjeux soulevés dans ses œuvres sont toujours inventifs, non conventionnels et novateurs. Sur un plan personnel, Kirill a toujours plaidé pour les valeurs libérales ; il a critiqué le procès contre les Pussy Riot, les lois homophobes, l’obscurantisme de l’Église, et a soutenu le mouvement en faveur de la transparence des élections présidentielles.
L’influence de Kirill Serebrennikov sur la culture russe est essentielle. Ses nombreuses mises en scène dans la citadelle du théâtre réaliste, le Théâtre d’Art de Moscou, ont attiré de nouveaux publics. Il y a créé le « Septième Studio », formant un groupe d’acteurs qui ont su mêler dans un nouveau langage le nouveau théâtre et la mentalité de la génération du millénaire. Ce groupe a pris en charge « La Plateforme », qui a obtenu le prix national du Masque d’or en 2012 (pour The Scoundrels – Les Vauriens, sur les militants d’extrême droite dans la Russie d’aujourd’hui).
Serebrennikov a supervisé la relance d’une salle obscure de Moscou, la rebaptisant « Centre Gogol », attirant ainsi des foules de jeunes vers un théâtre d’art contemporain de haut niveau. Cela est devenu un des lieux théâtraux les plus intéressants de Moscou. Ses spectacles ont suscité des discussions et parfois de la colère. Et voilà que maintenant il est sous arrêt, empêché de diriger le spectacle en répétition au Centre Gogol, et le film sur la première génération rock en tournage à Saint-Pétersbourg. Quant à son projet d’opéra et de film sur Hansel et Gretel à l’Opéra de Stuttgart (filmé entre autres au Ruanda), il doit être reporté.
L’Association russe des critiques de théâtre espère que la communauté internationale des critiques appuiera nos tentatives de protéger les droits sociaux et artistiques de Kirill Serebrennikov et de la culture artistique russe en général.
Le comité de coordination,
Association russe des critiques de théâtre
Le 24 août 2017