Par Margareta Sörenson
Présidente de l’AICT
Le 16 septembre 2020 est décédée Kapila Vatsyayan, quatrième lauréate du prix Thalie de l’AICT. Ses ouvrages sur la danse et le théâtre en Inde ont permis de découvrir certains trésors de ses traditions nationales, donnant un parfait exemple des objectifs du Thalie, qui rend hommage à ceux qui, par leurs recherches et leurs écrits, ont suscité un changement dans la critique de la représentation. Le prix lui a été accordé lors du 25e congrès de l’AICT à Varsovie, en Pologne. Devenue aveugle à l’époque, et incapable de voyager, elle a reçu personnellement son prix lors d’une cérémonie à New Delhi quelques semaines plus tard.
Il ne serait pas exagéré de dire que Mme Vatsyayan était la meilleure guide contemporaine sur le théâtre, la danse et l’esthétique théâtrale en Inde. Autrice de nombreux ouvrages et universitaire de réputation internationale, elle s’est souvent présentée comme une simple danseuse. Outre son érudition en danse, elle était très respectée comme ministre et comme directrice du Indira Gandhi Centre of the Arts.
Mme Vatsyayan a appris la danse très tôt, ayant été formée au kathak du nord de l’Inde, au bharatanatyam et au kathakali du sud, et à d’autres formes classiques ainsi qu’à des danses folkloriques et de traditions tribales. Les couches superposées de toutes ces traditions, ajoutées aux formes artistiques multiples de son pays, constituaient chez elle un sujet inépuisable de réflexion qu’elle rendait dans une écriture magnifique d’une grande clarté. Ce que certains appelaient parfois un croisement, elle l’abordait avec sérieux, articulant un modèle consistant de structures rythmiques, de mouvements opposés et de contradictions esthétiques dynamiques, tous fermement enracinés dans la vaste tradition performative indienne.
« D’un côté », disait-elle, il existe « l’équilibre unifié, le centre fixe, et de l’autre, un jeu continu d’énergie et de rythme dans des formes plurielles. Les deux aspects sont liés et interdépendants. »
Pour le lecteur non indien, ses conseils et sa vision de la tradition indienne ont constitué une révélation pour comprendre la danse et le théâtre contemporains et postmodernes : un lieu et un temps indéfinis articulés comme des moments figés dans l’espace, une narration fragmentée, un spectacle porteur d’images, des tableaux vivants, de la sculpture en mouvement.
Elle vouait un intérêt particulier aux rapports étroits entre les arts du spectacle et l’art au sens large, comme elle l’a précisé dans son discours d’acceptation du Thalie. Elle disait s’efforcer d’identifier les principes mathématiques fondamentaux à la base de tous les arts, notamment de l’architecture, du théâtre, de la danse et de la musique. Dans son livre The Square and the Circle of Indian Arts, elle s’intéresse aux abstractions mathématiques et géométriques fondamentales qui sous-tendent ces arts. « C’est l’étude de la danse et du théâtre qui m’a poussée à considérer tous les arts indiens [comme] des pratiques interreliées et interdépendantes. »
Les réalisations de Kapila Vatsyayan sont, et demeureront impressionnantes. Heureusement, ses publications permettent à tous de mieux connaître les arts de l’Inde. L’Association internationale des critiques de théâtre est fière de lui rendre hommage à titre de lauréate du prix Thalie.
Traduit par Michel Vaïs
Margareta Sörenson est présidente de l’Association internationale des critiques de théâtre. Elle écrit régulièrement sur la danse, le théâtre et la marionnette.