Par Richard Schechner
Note du réviseur : En 2006, Eric Bentley a reçu le premier prix Thalie de l’Association internationale des critiques de théâtre (AICT-IATC). Le Thalie, comme l’a souligné la présidente de l’AICT, Margareta Sörenson, rend hommage à un écrivain dont « l’ensemble des travaux sur la critique et le théâtre » a été particulièrement important pour la critique internationale. Après le décès de Bentley le 5 août 2020, le lauréat du Thalie 2010, Richard Schechner, a partagé ses réflexions sur les réseaux sociaux sur l’impact de la carrière de Bentley et de son héritage. Quand nous avons vu ce que notre troisième lauréat avait à dire à propos du premier, nous avons pensé que c’était un hommage approprié à partager avec nos lecteurs.
Eric Bentley est décédé cinq semaines avant ses 104 ans, soit près de deux fois le nombre d’années qui lui est alloué selon la Bible. Bentley était une grande vedette dans le firmament de l’érudition et de la critique dramatiques et théâtrales. Ses anthologies des classiques européens et son travail sur, avec et pour Bertolt Brecht ont changé la façon dont les lecteurs anglophones considèrent le « théâtre moderne ». Au nombre de ses livres phares, notons The Playwright as Thinker (1946), The Modern Theatre (1948), In Search of Theatre (1953) et The Life of the Drama (1964). Il a été le critique dramatique de The New Republic dans les années 1950, condamnant farouchement la stupidité de Broadway à cette époque, ainsi que des productions de pièces d’Arthur Miller et de Tennessee Williams qui ne leur rendaient pas justice. Eric s’est battu contre la folie du maccarthysme, pour s’opposer ensuite avec véhémence à la guerre du Vietnam. Il a enseigné au Black Mountain College dans les années 1940, à Harvard et à Columbia dans les années 1960. Il a quitté l’enseignement pour se consacrer à l’écriture, à la mise en scène et à l’interprétation. Il est sorti du placard à l’âge de 53 ans, après deux mariages avec des femmes. Comme l’Ancien Testament, il était et est toujours une force.
Eric a été membre de la rédaction de TDR, avec le rédacteur en chef et fondateur Robert W. Corrigan, depuis que le magazine est passé de The Carlton Drama Review à Tulane Drama Review, en 1957. Quand je suis devenu rédacteur en chef en 1962, j’ai demandé à Eric de rester. Il a donc continué à faire partie de l’équipe de rédaction pendant l’automne 1963, jusqu’au vol. 8, No 1. Il a quitté la publication parce qu’elle s’intéressait moins au « drame » qu’à la « performance ». L’association de Bentley avec le TDR pendant six ans est une mesure de son importance dans la formation de la revue.
Avant de devenir rédacteur en chef de TDR, j’ai eu une rencontre avec Eric. Je ne me souviens pas si c’était au cours de l’été 1958 ou 1961. Les deux étés, j’ai été directeur artistique des East End Players de Provincetown. Nous avons conçu des saisons estivales très ambitieuses, présentant notamment des pièces d’Ibsen, Strindberg, Sophocle, Sartre et Ionesco. Nous avons transformé l’Hôtel de Ville en théâtre environnemental. Nous avons présenté Philoctète sur la plage de North Truro. Je savais qu’Eric Bentley passait l’été à Wellfleet, une ville le long du Cap à partir de P’town. Je lui ai téléphoné, invitant ce grand critique et érudit à mon théâtre. Je ne me souviens pas s’il est venu.
Je sais que pour une génération ou deux, peut-être trois ou quatre, dont la mienne, Eric Bentley a fait connaître le « théâtre classique moderne », par des anthologies de pièces qu’il a publiées, et parfois traduites. Il a mis la table pour beaucoup de matière enseignée dans les collèges. Bentley savait qu’il y avait de grandes idées incarnées dans les textes qu’il portait à l’attention d’un tas de gens. Il a défendu Brecht parce que Brecht réfléchissait tout en divertissant, et il trouvait son approche passionnément programmatique. Il est vrai que, dans ses dernières années, Eric Bentley s’est éloigné de ce genre de chose, se concentrant sur son travail de mise en scène, sur sa musique et ses spectacles. Mais cela ne diminue en rien son importance et son influence. Eric Bentley a vécu assez longtemps pour quitter une vie et entrer dans une autre.